Tanty : Colère dans les tranchées (15/07/2024)
Car n’est-ce pas, j’ai le cafard, vous vous en doutez, et je désespère de le chasser. Il y a de quoi, et ce n’est pas aujourd’hui qu’)il passera ; la perspective de retourner ce soir dans le vieux secteur du bois carré, et de reprendre la vie souterraine, nocturne et marécageuse n’étant pas pour le dissiper.
Voilà six mois bientôt que ça dure, six mois, une demi-année qu’on traîne entre vie et mort, jour et nuit, cette misérable existence qui n’a plus rien d’humain ; six mois, et il n’y a encore rien de fait, aucun espoir ; six mois qu’on a quitté le fort, et l’on est un peu moins avancé qu’au lendemain du Châtelet. Tout est à recommencer. Tout cela n’a été qu’un prélude, nous n’en sommes donc encore qu’au prologue de la tragédie dont le premier acte commencera au printemps. Alors, les canons seront prêts et dans l’arène lamentable des tranchées, la boucherie néronienne reprendra plus sanglante que jamais, et pareils aux esclaves antiques, on ne nous tirera de nos cachots que pour nous jeter en pâture aux monstres d’acier. Et ce sera au retour du printemps, au renouveau de la terre. Et pourquoi tout ce massacre ? Est-ce la peine de faire attendre la mort si longtemps à tant de milliers de malheureux, après les avoir privés de la vie pendant des mois.
Lettre d'Étienne Tanty, poilu de la Grande Guerre (28 janvier 1915)
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