Bachelard : Grottes et Rêves (19/02/2023)

Les liturgies cachées, les cultes secrets, les pratiques initiatiques trouvent dans la grotte une sorte de temple naturel. Les cavernes de Déméter, de Dionysos, de Mithra, de Cybèle et d’Attis donnent à tous les cultes une sorte d’unité de lieu.

En effet, la grotte est un refuge dont on rêve sans fin. Elle donne un sens immédiat au rêve d’un repos protégé, d’un repos tranquille. Passé un certain seuil de mystère et d’effroi, le rêveur entré dans la caverne sent qu’il pourrait vivre là. Qu’on y séjourne quelques minutes et déjà l’imagination emménage. Elle voit la place du foyer entre deux gros rochers, le recoin pour le lit de fougères, la guirlande des lianes et des fleurs qui décore et qui cache la fenêtre vers le ciel bleu. Cette fonction de rideau naturel apparaît avec régularité.

La grotte est la demeure sans porte. N’imaginons pas trop vite qu’on ferme la grotte le soir avec une pierre roulée pour y dormir en paix. La dialectique du refuge et de l’effroi a besoin de l’ouverture.

On veut être protégé, mais on ne veut pas être enfermé. L’être humain sait à la fois les valeurs du dehors et du dedans. La porte est à la fois un archétype et un concept : elle totalise des sécurités inconscientes et des sécurités conscientes. Elle matérialise le gardien du seuil, mais tous ces profonds symboles sont actuellement ensevelis dans un inconscient que n’atteignent pas les rêves des écrivains. Les valeurs claires du refuge sont trop vives pour qu’on découvre les valeurs obscures. En fait, l’acte d’habiter se développe presque infailliblement aussi lot qu’on a l’impression d’être abrité.

Là où nous allons nous abriter en rêve nous trouvons une demeure qui reçoit tous les symboles du repos. Si nous voulons garder nos puissances oniriques, il faut que nos rêves soient fidèles à nos images premières.

À l’entrée de la grotte travaille l’imagination des voix profondes, l’imagination des voix souterraines. Toutes les grottes parlent.

Pour un rêveur des voix souterraines, des voix étouffées et lointaines, l’oreille révèle des transcendances, tout un au-delà de ce qu’on peut toucher et voir.

The ears can hear deeper than eyes can see.

L’oreille est alors le sens de la nuit, et surtout le sens de la plus sensible des nuits : la nuit souterraine, nuit enclose, nuit de la profondeur.

La moindre caverne nous offre toutes les rêveries de la résonance. En ces rêveries, on peut dire que l’oracle est un phénomène naturel. C’est un phénomène de l’imagination des grottes.

Les voix de la terre sont des consonnes. Aux autres éléments les voyelles, à l’air surtout le souffle d’une bouche heureuse, doucement entr’ouverte. La parole d’énergie et de colère a besoin du tremblement du sol, de l’écho du rocher, des roulements caverneux.

Gaston Bachelard, La Terre et les rêveries du repos (1948)

Photo : Pexels - M Venter

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