Poincaré : La peur de la vérité (27/12/2022)
Il ne faut pas avoir peur de la vérité parce qu'elle seule est belle.
Quand je parle ici de la vérité, sans doute je veux parler d'abord de la vérité scientifique ; mais je veux parler aussi de la vérité morale, dont ce qu'on appelle la justice n'est qu'un des aspects. Il semble que j'abuse des mots, que je réunis ainsi sous un même nom deux objets qui n'ont rien de commun ; que la vérité scientifique lui se démontre ne peut, à aucun titre, se rapprocher de la vérité morale qui se sent.
Et pourtant je ne peux les séparer, et ceux qui aiment l'une ne peuvent pas ne pas aimer l'autre. Pour trouver l'une, comme pour trouver l'autre, il faut s'efforcer d'affranchir complètement son âme du préjugé et de là i1 faut atteindre à l'absolue sincérité. Ces deux vérités, une fois découvertes, nous procurent la même joie; l'une et l'autre, dès qu'on l'a aperçue, brille du même éclat, de sorte qu'il faut la voir ou fermer les yeux. Toutes deux enfin nous attirent et nous fuient ; elles ne sont jamais fixées ; quand on croit les avoir atteintes, on voit qu'il faut chercher encore, et celui qui les poursuit est condamné à ne jamais connaître le repos.
Il faut ajouter que ceux qui ont peur de l'une, auront peur aussi de l'autre ; car ce sont ceux qui, en toutes choses, se préoccupent avant tout des conséquences. En un mot, je rapproche les deux vérités, parce que ce sont les mêmes raisons qui nous les font aimer et parce que ce sont les mêmes raisons qui nous les font redouter.
Si nous ne devons pas avoir peur de la vérité morale, à plus forte raison il ne faut pas redouter la vérité scientifique.
Henri Poincaré, La Valeur de la Science (1905)
Photo : Pexels - Rene Asmussen
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