Malraux : L'art du passé et le présent (05/08/2022)
Il est impossible de concevoir le Musée comme historique. Pour un peintre du moins. Ce serait simplement ridicule. Vous vous imaginez un peintre qui arrive devant le Musée en considérant chaque salle comme un produit? Les colonies produisent des bananes... Le XVIe siècle produit l'art du XVIe siècle? C'est dément! Il est bien entendu que pour n'importe quel peintre, ce qui compte de l'art du passé est présent... J'avais pris l'exemple du saint : pour celui qui prie, le saint a son point d'appui dans une vie historique. Mais il a une autre vie au moment où on est en train de le prier : quand on le prie, il est présent. En somme, le saint est dans trois temps : il est dans son éternité, il est dans son temps historique ou chronologique, et il est dans le présent. Pour moi, ce serai t presque la réponse à la question "qu'est-ce pour vous qu'une œuvre d'art?" C'est une œuvre qui a un présent. Alors que tout le reste du passé n'a pas de présent. Alexandre a une légende, il a une histoire, mais il n'a pas de présent. Vous sentez bien que vous ne pouvez pas ressentir de la même façon une peinture de Lascaux (i) et un silex taillé. Le silex taillé est dans l'histoire chronologique. Le bison peint y est aussi, mais en même temps, il est ailleurs. Et là, vous mettez le doigt sur ce qui est absolument fondamental à mes yeux. Ce que je dis d'important, c'est ça on ne peut pas concevoir l'art moderne, dans ses rapports avec le musée imaginaire, etc., si on ne commence pas par ressentir que l'œuvre d'art de notre temps est dans un temps qui n'est pas soumis à l'ordre chronologique.
André Malraux, Lazare. Le Miroir des Limbes (1974)
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