Balzac : La réussite (31/05/2022)
Aujourd’hui, chez vous, le succès est la raison suprême de toutes les actions, quelles qu’elles soient. Le fait n’est donc plus rien en lui-même, il est tout entier dans l’idée que les autres s’en forment. De là, jeune homme, un second précepte : ayez de beaux dehors ! cachez l’envers de votre vie, et présentez un endroit très-brillant. La discrétion, cette devise des ambitieux, est celle de notre Ordre : faites-en la vôtre. Les grands commettent presque autant de lâchetés que les misérables ; mais ils les commettent dans l’ombre et font parade de leurs vertus : ils restent grands. Les petits déploient leurs vertus dans l’ombre, ils exposent leurs misères au grand jour : ils sont méprisés. Vous avez caché vos grandeurs et vous avez laissé voir vos plaies. Vous avez eu publiquement pour maîtresse une actrice, vous avez vécu chez elle, avec elle : vous n’étiez nullement répréhensible, chacun vous trouvait l’un et l’autre parfaitement libres ; mais vous rompiez en visière aux idées du monde et vous n’avez pas eu la considération que le monde accorde à ceux qui lui obéissent. Si vous aviez laissé Coralie à ce monsieur Camusot, si vous aviez caché vos relations avec elle, vous auriez épousé madame de Bargeton, vous seriez préfet d’Angoulême et marquis de Rubempré. Changez de conduite : mettez en dehors votre beauté, vos grâces, votre esprit, votre poésie. Si vous vous permettez de petites infamies, que ce soit entre quatre murs : dès lors vous ne serez plus coupable de faire tache sur les décorations de ce grand théâtre appelé le monde. Napoléon appelle cela : laver son linge sale en famille. Du second précepte découle ce corollaire : tout est dans la forme.
Honoré de Balzac, Illusions perdues (1837-1843)
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