JEAN CLAUDE AMEISEN, SUR LES ÉPAULES DE DARWIN (12/11/2012)
Crinière de poète, regard azur, avec ce charisme visible à l'œil nu, Jean Claude Ameisen aurait pu faire de la politique ou du cinéma. Au lieu de cela, vers l'âge de 40 ans, il a révélé au monde scientifique ébahi que la mort programmée des cellules permettait la vie. Sans ce suicide créateur, ou apoptose, pas d'embryon, pas de défenses immunitaires, bref, pas d'espèce humaine.
A ce stade, il vous expliquerait sans doute avec un sourire que votre présentation n'est pas tout à fait exacte. Il commenterait avec patience l'étymologie d'apoptose, la chute de haut, ou de loin, un mot que les Grecs anciens employaient quand les feuilles tombaient. Ou leurs cheveux. C'est un pédagogue pointilleux, dont les élans lyriques ne doivent pas tromper.
Nommé à 60 ans président du Comité consultatif national d'éthique (CCNE), le professeur Ameisen, médecin et immunologiste, a appris le grec avec son père. Cet ingénieur au savoir encyclopédique, excellent violoniste, était un juif polonais émigré à Paris dans les années 1930 qui s'engagea comme volontaire pendant la guerre. En temps de paix, Ameisen père dirigeait en France l'entreprise de cosmétiques Helena Rubinstein – car cette Polonaise énergique avait en son neveu une confiance absolue. Avec sa mère, condisciple en philosophie du futur Jean Paul II, Ameisen le jeune étudiait les mathématiques et le latin. Il a aussi fréquenté les incubateurs à génies, Louis-le-Grand et l'Ecole alsacienne, dans un temps où la frénésie scolaire n'était pas si grande, sans en ressortir arrogant.
Il faut dire que l'enfant terrible de la famille, son cadet Olivier, un être brûlé d'intelligence et pianiste surdoué, s'était mis en tête de passer son bac en 2de, alors que son frère était en terminale. L'un des deux l'a eu, l'autre pas, devinez lequel. Pourtant boulevard du Montparnasse, dans l'appartement familial, on n'a pas fêté le bac d'Olivier.
Ils finissent par faire médecine ensemble, bientôt suivis par leur sœur Eva, et s'adorent, de cette sorte d'amour-rivalité bien connue. Ils révisent leurs examens en marchant, comme des jumeaux, chacun dans leur chambre de bonne. Olivier Ameisen, qui a vécu longtemps aux Etats-Unis, est le médecin qui a soigné son alcoolisme grâce au baclofène, un relaxant musculaire. Il en a fait un récit assez bouleversant, Le Dernier Verre (Denoël, 2008), sans cacher qu'il n'avait pas abîmé que lui-même.
Pour entrer chez Jean Claude Ameisen, au fond d'une cour du boulevard Saint-Michel, il faut écarter quelques rameaux d'olivier car l'arbre dans son pot a poussé devant la porte comme un extravagant. A prendre comme un signe de paix.
Dedans, c'est un capharnaüm de livres, mais citez-en un, il le trouve bientôt. Derrière un tissu safran, sa femme, Fabienne, fille du directeur de l'Ecole alsacienne de leur jeunesse, a empilé, telle une muse attentive, un mètre cinquante de documents annotés, dont on jurerait qu'elle les connaît par coeur : toute la documentation des émissions du professeur qui captivent, chaque samedi matin sur France Inter, un million et demi d'auditeurs...
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