FRÉDÉRIC GROS: "VOIR LE PRÉSENT AUTREMENT" (12/10/2012)
Se fier aux apparences, comme souvent, risquerait d'égarer. Evidemment, Frédéric Gros est affable et discret. Son maintien et sa gestuelle évoquent l'adolescent. Si on le croisait sur quelque sentier de montagne - quand il n'enseigne pas, il part en randonnée -, on le prendrait pour un trekkeur averti, même sans savoir qu'il est aussi l'auteur du remarquable Marcher, une philosophie (Carnets Nord, 2009), best-seller intelligent et savant. Du coup, difficile d'imaginer ce doux discret en philosophe préoccupé de sujets aussi rudes que la folie, la violence, la guerre, aujourd'hui la sécurité. Pour le comprendre, il faut entrevoir le développement d'une oeuvre qui s'affirme de plus en plus singulière et éclairante.
Au commencement était Michel Foucault. Frédéric Gros lui doit une bonne part de ses centres d'intérêt comme de sa méthode. Avec toutefois une première particularité : ce foucaldien n'a jamais rencontré l'auteur de l'Histoire de la folie. La génération de Mai 68 a vu en Foucault, autant ou plus qu'un philosophe-historien, un intellectuel engagé, personnage public, agitateur parfois. Au contraire, c'est par les textes seulement que le jeune normalien, qui arrive rue d'Ulm en 1986, deux ans après la mort du philosophe, découvre cet auteur qu'il considère d'abord comme... un moraliste ! "A l'époque, à l'Ecole normale, on estimait qu'il fallait en finir avec les débordements des années 1970, revenir à une philosophie plus sérieuse, moins inutilement transgressive. Pour ma part, avec une formation très classique, je n'avais jamais lu les textes de Foucault, et je les ai découverts, presque par hasard, avec une sorte de stupéfaction. Ce qui m'a d'abord fasciné, c'était l'extraordinaire mélange de données historiques détaillées, de questions de grande philosophie, empruntées à Descartes ou à Hegel, et d'un souffle lyrique, d'un sens de la mise en scène qui traversent ses livres. J'ai d'abord trouvé très attachant le "dernier Foucault", qui s'intéresse de près à la littérature des moralistes, dissèque les règles de l'existence des stoïciens ou des cyniques grecs, scrute les traités d'Epictète, de Sénèque, de Marc Aurèle..."
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