UNIVERS SURRÉALISTES ET DÉLIRES PHILOSOPHIQUES (23/01/2012)

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Du vert, beaucoup de vert, un immense plateau vert pomme sur lequel évoluent d’énigmatiques vibrions colorés eighties, de la perruque et de la fringue décalée, six danseurs loufoques réunis donc dans un Système Castafiore plus vivant que jamais, et totalement déjanté.

Karl Biscuit et Marcia Barcellos signent là une pièce millimétrée, explosive mais parfaitement maîtrisée. Composée de quatre-vingt personnages interprétés simultanément ou successivement par les six danseurs-acteurs du Système, cette encyclopédie élégamment Tatiesque utile le matériau sonore pour incarner la multitude de ses personnages chorégraphiés : fragments d’interviews france-cul, boucles radios d’un autre monde, extraits de films ou de séries tv, ces sources sonores mimées par les acteurs sont drôles, décalées, impeccablement ludiques, le tout dans une succession étourdissante d’apparitions-disparitions où la virtuosité des danseurs est servie par l’imagination débridée de la mise en scène.

Pas de temps mort donc pour ce ballet très Monsieur Hulot, ultraspeedé, composé d’une mulitude de plans et d’arrières plans où rien n’est immobile, où se passe toujours quelque chose, si possible de parfaitement incongru. Cette Encyclopédie bruitiste et glamour se construit de fulgurances visuelles et de télescopages de sens, elle étalonne et mixe, organisant son déroulement mécanique de ballet futuriste comme un gigantesque cut-up sans fin, un collage magistral.

C’est un regard parfaitement cynique jeté sur notre monde contemporain que nous propose cette encyclopédie-là, un digest de l’inanité du speed de nos sociétés, toujours plus véloces, rapides, agitées pour toujours moins de matière et de sens. Le remarquable travail sonore servant à merveille l’extravagante chorégraphie et le jeu brillant de ce petit ballet tout fou.

Un spectacle très visuel, à la limite de la performance et toujours éminemment plastique. Même si le décor, le cadre plutôt, est résolument ascétique, minimaliste, le foisonnement des costumes, perruques et accessoires très colorés années 80, quasi Deschiens par moments, s’accorde extraordinairement avec le chromatisme sonore des archives, voix éclatées, voix multiples et parfois d’outre-tombe, extraits de conférences ou de talk-shows pontifiants, onomatopées et verbiages, tout y est pour tisser un croisement monstrueux de signes et de sens qui forment patiemment cette toile envoutante, réglée pour un format idéal : 65 minutes de pur délice qui se termine, comme il se doit, par la voix tressautante du Momo pour en finir avec le jugement de Dieu. Belle conclusion et aimable clin-d’œil au plus vital de nos poètes.

Installée dans l’arrière-pays niçois, la compagnie était l’invitée des Hivernales d’été du festival, dont elle illustrait les visuels. Une belle proposition qui nous amenait à penser la danse contemporaine comme autre chose qu’un laboratoire un peu glacé, mais plutôt comme une fête où humour et émotion servent superbement un programme chorégraphique exigeant et une expérimentation riche en potentiel poétique. Que la Castafiore continue donc longtemps de rire en son mirroir !

Marc Roudier 2008 (Avignon Off)


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